La Grande Bretèche (Autre étude de femme)
LA COMEDIE HUMAINE – Honoré de Balzac IVe volume des œuvres complètes de H. DE BALZAC par Veuve André HOUSSIAUX, éditeur, Hébert et Cie, Successeurs, 7, rue Perronet, 7 – Paris (1877)
Scènes de la vie privée
LA GRANDE BRETECHE (Autre étude de femme)
Analyse et Histoire Etude publiée en 1842 pour fournir un nombre de pages suffisant au tome II de La Comédie humaine. C’est une conversation entre gens d’esprit à la fin d’un souper. Henri de Marsay, le plus brillant des dandys de Balzac, raconte sa première aventure féminine. La conversation s’engage ensuite entre les convives et c’est cet échange spirituel, vif, dans lequel chacun apporte son anecdote qui permet l’insertion des fonds de tiroir du romancier. On verra donc défiler à la suite, d’abord quelques fragments d’Une conversation entre onze heures et minuit publiés en 1832 dans le recueil collectif des Contes bruns, puis le portrait de La femme comme il faut, publié en 1839 dans un autre recueil collectif, Les français peints par eux-mêmes, puis La maîtresse de notre colonel, qui avait été un autre des Contes bruns et La mort de la duchesse, court fragment de même origine, enfin le morceau de bravoure, La Grande Bretèche, déjà utilisée, un montage intitulé Le conseil que Balzac démembra ensuite, puis en publication séparée avec deux autres contes sous le titre La Grande Bretèche ou les Trois vengeances, enfin dans La Muse du département. Le conte relatif à La Grande Bretèche est la dernière histoire relatée par Henri de Marsay à ses compagnons de table. Il y est question d’un drame dont l’action s’est déroulée dans une habitation près de Vendôme, sur les bords du Loir. Le conteur intrigué par cette propriété abandonnée depuis dix années s’y promène régulièrement à la recherche d’émotions. Ces visites lui sont bientôt interdites par Monsieur Regnault, notaire et exécuteur testamentaire de feu Madame la comtesse de Merret. Ce notaire, selon les vœux de la défunte, est le gardien pour une durée de 50 ans, à compter de la mort de Madame de Merret de cette habitation, en interdisant l’entrée des appartements à quelque personne que ce fût, et en défendant d’y faire la moindre réparation – allouant même une rente afin de gager des gardiens, s’il en était besoin, pour assurer l’entière exécution de ses intentions. A l’expiration de ce terme, si le vœu de la testatrice a été accompli, la maison doit appartenir aux héritiers du notaire, car les notaires ne peuvent accepter de legs ; sinon, La Grande Bretèche reviendrait à qui de droit, mais à la charge de remplir les conditions indiquées dans un codicille annexé au testament, et qui ne doit être ouvert qu’à l’expiration des 50 années. Le testament n’a point été attaqué (revendiqué, donc….le notaire se frotte les mains…). Sous ces conditions se cache le plus terrible des secrets. Trois mois avant la soirée du drame, Madame de Merret avait été assez sérieusement indisposée pour que son mari la laissât seule chez elle, et il couchait dans une chambre au premier étage. Par un de ces hasards impossibles à prévoir, il revint, ce soir là, deux heures plus tard que de coutume du Cercle où il allait lire les journaux et causer politique avec les habitants du pays. Sa femme le croyait rentré, couché, endormi. Depuis quelques temps, lorsqu’il s’en revenait, Monsieur de Merret se contentait de demander à Rosalie, la femme de chambre de sa femme, si Madame de Merret était couchée – sur la réponse toujours affirmative de la domestique – il allait immédiatement chez lui avec cette bonhomie qu’enfantent l’habitude et la confiance. Ce soir là, en rentrant, il lui prit la fantaisie de se rendre chez Madame de Merret pour lui raconter les mésaventures de sa soirée. Pendant le dîner, il avait trouvé Madame de Merret coquettement mise ; il se disait que la convalescence de sa femme l’avait embellie. Ne voyant pas Rosalie, Monsieur de Merret se rendit directement à la chambre de sa femme. Au moment où il tourna la poignée de la porte, il crut entendre fermer la porte du cabinet attenant à la chambre de son épouse. Sentant une gêne dans l’attitude de sa femme ainsi qu’un son de voix altéré Monsieur de Merret lui dit froidement : Madame, il y a quelqu’un dans votre cabinet ! et s’y dirigea pour en ouvrir la porte. Joséphine l’en dissuada sous la menace d’une rupture. Joséphine jura sur la bible que personne ne se trouvait dans son cabinet et obtint de son époux à ce que la porte ne fût pas ouverte. Néanmoins, séance tenante, le soupçonneux mari fit venir Gorenflot le maçon et lui fit murer, en présence de Madame de Merret, la porte du cabinet. Quand le mur fût à moitié de son élévation, le rusé maçon prit un moment où le gentilhomme avait le dos tourné pour donner un coup de pioche dans l’une des deux vitres de la porte. Tous trois (Gorenflot, Rosalie, Joséphine) virent alors une figure d’homme sombre et brune, des cheveux noirs, un regard de feu. Avant que son mari ne se fût retourné, la pauvre femme eut le temps de faire un signe de tête à l’Espagnol, comme pour lui dire « gardez espoir ». A quatre heures, vers le petit jour, car on était au mois de septembre, le mur fût achevé. Le maçon resta sous la garde de Jean et Monsieur de Merret coucha dans la chambre de sa femme. Lors d’une brève absence de son époux, Joséphine et Rosalie s’employèrent à démolir une partie du mur pour en délivrer l’amant emprisonné. Elle avait déjà fait sauter quelques briques lorsqu’elle vit monsieur de Merret derrière elle. Prévoyant ce qui devait arriver pendant son absence, il avait tendu un piège à sa femme. Le mari bafoué poussa la cruauté à rester vingt jours enfermé dans la chambre de sa femme, sous le prétexte de soigner sa femme malade. Durant les premiers moments, quand il se faisait quelque bruit dans le cabinet muré et que Joséphine voulait l’implorer pour l’inconnu mourant, il lui répondait, sans lui permettre de dire un seul mot : « Vous avez juré sur la croix qu’il n’y avait là personne ». Madame de Merret mourût de chagrin et de culpabilité. Monsieur de Merret, exilé à Paris, mourût quelques mois avant sa femme. Il y périt misérablement en se livrant à des excès de tous les genres. Pour oublier sans doute ! Paris, juin 1839 – 1842
Source analyse : Préface et histoire recueillies d’après le texte intégral des œuvres de la Comédie Humaine (Tome V) publié par France Loisirs 1986 sous la caution de la Société des Amis d’Honoré de Balzac.
Généalogie des personnages Merret (de) : Comte de Merret. « Bel homme », mais vilain caractère, à Vendôme, mort en 1816. Le nom de jeune fille de son épouse n’est pas connu. De son prénom, Joséphine, elle décède vers 1816. Rosalie : Femme de chambre des Merret, près de Vendôme. Gorenflot : Maçon à Vendôme. Jean : Domestique chez les Merret.
Source généalogie des personnages : Félicien Marceau « Balzac et son monde » – Gallimard.
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