La Femme abandonnée
LA COMEDIE HUMAINE – Honoré de Balzac IIe volume des œuvres complètes de H. DE BALZAC par Veuve André HOUSSIAUX, éditeur, Hébert et Cie, Successeurs, 7, rue Perronet, 7 – Paris (1877)
Scènes de la vie privée
LA FEMME ABANDONNEE – Etude de femme
A MADAME LA DUCHESSE D’ABRANTES,
Son affectionné serviteur, Honoré de Balzac.
Paris, août 1835.
La Femme abandonnée est une nouvelle parue en 1832 dans la Revue de Paris. Elle est publiée en volume en 1833 dans le tome II des Scènes de la vie de province des Etudes de moeurs aux éditions de Madame Béchet. Rééditée en 1839 aux éditions Charpentier, puis en 1842 dans l’édition Furne avec une dédicace à la duchesse d’Abrantès. Elle figure alors dans les Scènes de la vie privée.
Analyse de l’oeuvre La Femme abandonnée est encore une « étude de femme », mais la plus célèbre de toutes : à cause du sujet, de la délicatesse des sentiments, du ton du récit, du dénouement dramatique. Elle fut publiée dans la Revue de Paris en septembre 1832 presque en même temps que la Grenadière paraissait dans la Revue des deux mondes. Ses mérites littéraires ont été retenus même par les contemporains les plus hostiles à Balzac. Mais c’est par autre chose que cette nouvelle est instructive : ce que nous savons des sentiments de Balzac et des événements dont il s’est servi nous permet de comprendre mieux qu’en d’autres exemples sa manière de travailler. Au départ, ce qui émeut son imagination, c’est l’expression même de « femme abandonnée ». C’est très ancien chez lui. L’Hymne à la femme abandonnée se trouve dans un manuscrit de 1822 : « Une femme abandonnée a quelque chose d’imposant et de sacré. En la voyant, on frissonne et l’on pleure. Elle réalise cette fiction du monde détruit et sans Dieu, sans soleil, habité par une dernière créature qui marche au hasard dans l’ombre et le désespoir… C’est l’innocence assise sur les débris de toutes les vertus mortes. » Ce sont là de fortes expressions. Elles ne conviennent assurément pas à « la femme seule » du XXe siècle. Quel destin déplorable a-t-il pu émouvoir Balzac au point de lui arracher cette douloureuse élégie ? En 1822, nous n’avons pas beaucoup à nous interroger. C’est évidemment une strophe inattendue du « poème Berny ». Pour s’abandonner à un jeune amant qui aurait pu être son fils (22 ans de moins qu’elle) il faut que Mme de Berny justifie de grandes douleurs et d’une profonde déréliction. Elle se sert pour cela de son ménage brisé (après 15 ans de liaison avec le « Corse atroce » Campi), de l’abandon poli mais total de son mari, de ce monde détruit qu’est devenue sa destinée, sans qu’elle en soit responsable, bien entendu, innocente qui a cru aux serments. Balzac, comme on peut s’y attendre, ne discute pas cette présentation des faits. Il admet la poésie de Mme de Berny, l’exalte, pleure avec elle sur toutes les vertus mortes. D’où le culte particulier de la femme abandonnée que nous retrouverons pendant de longues années dans l’œuvre de Balzac. Mais l’aventure dont Balzac se sert pour bâtir sa nouvelle est beaucoup moins poétique. Elle paraît également comme certaine, ou, du moins, a été acceptée comme telle. Pendant les mois d’été de 1822, les parents de Balzac, inquiets de sa liaison avec Mme de Berny, l’avaient envoyé quelque temps à Bayeux, chez sa sœur Laure Surville. Pendant ce séjour, le présomptueux Balzac se mit en tête de triompher d’une autre « femme abandonnée », moins poétique que la précédente, mais qui avait l’avantage d’être sur place. C’était la comtesse d’Hautefeuille, ancienne maîtresse du procureur général Guernon-Ranville, qui fut ensuite ministre de Polignac. Balzac fut balourd, éconduit, et n’eut pas la présence d’esprit d’oublier ses gants comme le personnage de la nouvelle. Cette sortie mit fin à une aventure qui mériterait à peine d’être citée si elle n’était pas aussi remarquable par sa vulgarité que la précédente par son éclairage poétique. Cela n’a pas beaucoup d’importance parce que, aussitôt que son personnage est admis auprès de Mme de Beauséant, Balzac suit une autre piste et se donne un autre modèle : c’est la marquise de Castries qu’il doit aller rejoindre à Aix-les-Bains à la fin du mois d’août, à peu près au moment où sera publiée sa nouvelle. C’est là une magnifique « femme abandonnée », bien plus abandonnée que ne l’a jamais été Mme de Berny, ayant tout ce qui peut faire travailler l’imagination de Balzac. Une naissance illustre, comme Claire de Beauséant, une grande passion affichée pour le fils du chancelier Metternich, un enfant de cette liaison, qui vient de mourir à vingt ans, une réprobation unanime, malgré la puissance de sa famille, enfin tout ce qui peut faire d’une femme un lys brisé, tout ce qui peut la rendre, comme dans l’élégie de 1822, « imposante et sacrée ». Dans cette transposition, l’héroïne retrouvait toute la tristesse et la poésie qui avaient autrefois ému Balzac : et même elle les rehaussait par le triple prestige du malheur, de la célébrité et d’un amour sublime. C’est cette exaltation qui va donner à la nouvelle une qualité d’émotion qui n’est jamais extérieure, éloquente, mais cachée et tendre. Il fallait une fin, on ne pouvait pas se maintenir à ces hauteurs. Cette fin est le châtiment que s’inflige lui-même l’amant qui ne s’est pas montré digne par une fidélité éternelle du choix qui s’était porté sur lui. Il fallut aller la chercher ailleurs. Des recherches récentes ont montré que Balzac est allé la chercher dans un fait divers de l’année 1793, que presque tout le monde avait oublié, le suicide du comte de Pons ou de Pont après son mariage et sa rupture avec sa maîtresse, la comtesse de Castellane. Balzac avait trouvé ce dénouement dans les Les Mémoires de la duchesse d’Abrantès où la comtesse de Castellane était ainsi décrite : « Elle avait alors plus de quarante ans, elle était contrefaite, portait une perruque, avait d’assez jolis petits yeux, pas de dents, le menton en galoche, une tournure inconcevable, mais une âme belle et grande, un cœur d’or et un esprit des plus ravissants. » Tels sont les ingrédients avec lesquels Balzac composa une de ses plus belles histoires : de l’émotion, une profanation, de la poésie, un fait divers. Il est clair que c’est l’émotion initiale qui donne le ton : tout le reste n’est que circonstances que le romancier plie à son gré.
Histoire Il s’agit de la passion du jeune baron de Nueil pour la vicomtesse de Beauséant, exilée du monde pour avoir délaissé un mari qu’elle n’aimait pas au profit de sa liaison avec Monsieur d’Ajuda-Pinto. Madame de Beauséant (Claire de Bourgogne) bannie du monde a trouvé l’exil dans sa campagne de Courcelle après le mariage du marquis d’Ajuda. Gaston de Nueil s’éprend de cette femme séparée de son mari et couverte de honte par la noblesse et la haute société. Madame de Beauséant essayera en vain de fuir ce bonheur interdit et c’est dans une villa louée au bord du lac de Genève que Madame de Beauséant et Monsieur de Nueil demeurèrent pendant trois années. Ils s’aimèrent, sans voir personne, sans faire parler d’eux, se promenant en bateau, se levant tard, enfin heureux. La perte de son frère et de son père rappelèrent Gaston en France. Ils décidèrent de s’établir près de Manerville, une propriété considérable qui jouxtait les terres de Valleroy de Gaston et, où ils demeurèrent ensemble. Pendant neuf années entières ils goûtèrent au bonheur complet. Madame la comtesse de Nueil, mère de Gaston refusant la liaison de son fils avec Madame de Beauséant entreprit de le marier à un riche parti, en la personne de Mademoiselle de la Rodière. La lettre pleine d’inquiétude et de soupçons de Madame de Beauséant arriva dans un moment où l’amour de Gaston luttait contre les séductions d’une vie arrangée convenablement et conforme aux idées du monde. Cette lettre de Madame de Beauséant lui conjurant de choisir entre elle et Mademoiselle de la Rodière fut décisive pour Gaston qui résolut de quitter la marquise et de se marier. Après sept mois d’un bonheur tiède, Gaston chercha a revoir Claire dont la porte lui fut interdite. Ses lettres à la marquise lui furent retournées sans avoir été ouvertes. Le jeune baron de Nueil se donnera intentionnellement la mort avec son fusil de chasse. Les gens qui ont délicieusement éprouvé les phénomènes auxquels l’union parfaite de deux êtres donne lieu comprendront parfaitement ce suicide. Angoulême, septembre 1832
Généalogie des personnages NUEIL : Famille noble normande représentée par un comte Nueil qui meurt en 1825, d’où,un fils mort en 1825, Gaston, né en 1799, mort en 1831. Epouse Stéphanie de la Rodière. BEAUSEANT : Famille noble représentée par un marquis de Beauséant qui meurt au début de la Restauration. A épousé une Champignelles, d’où; Un comte de Beauséant ; Un vicomte, puis marquis qui épouse Claire de Bourgogne née vers 1791; Une autre Beauséant, née en 1733 et religieuse. AJUDA : Famille noble portugaise représentée par : Une Ajuda qui épouse le duc de Grandlieu ; Le marquis Miguel d’Ajuda Pinto. Epouse Berthe de Rochefide qui meurt vers 1834. Veuf, Ajuda épouse Joséphine de Grandlieu. LA RODIERE : Stéphanie de la Rodière, héritière née en 1809.
Source analyse/histoire :
1) Préface (tome IV) recueillie d’après le texte intégral des œuvres de la Comédie Humaine publié par France Loisirs 1985 sous la caution de la Société des Amis d’Honoré de Balzac –
2) Encyclopédie universelle Wikipédia. Source généalogie des personnages: Félicien Marceau « Balzac et son monde » Gallimard.
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