Balzac La Comédie Humaine Analyse de texte Etude de l'œuvre 100 analyses de texte de la Comédie Humaine de Balzac Description détaillée des personnages Classement par 7 types de scènes 26 tomes étudiés en détail

Louis Lambert

LA COMEDIE HUMAINE – Honoré de Balzac XVIe volume des œuvres complètes de H. DE BALZAC par Veuve André HOUSSIAUX, éditeur, Hébert et Cie, Successeurs, 7, rue Perronet, 7 – Paris (1877)

Etudes philosophiques

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     Louis Lambert

  LOUIS LAMBERT    

Ce tome contient trois œuvres auxquelles Balzac attachait une grande importance, Louis Lambert, Séraphita et un essai inachevé intitulé Les Martyrs ignorés. Ce sont des œuvres difficiles. Elles mettent en lumière des pouvoirs du cerveau humain et des systèmes de liaison entre l’homme et la Création que la science moderne ne peut expliquer et qui étaient pourtant connus des anciennes civilisations. Elles les rattachent à une organisation de l’univers dont le discours de Sigier de Brabant dans Les Proscrits avait donné un premier résumé. Bien qu’elles soient présentées comme des œuvres d’imagination, elles sont en réalité des essais dans lesquels Balzac esquisse un système philosophique. Il regardait ces œuvres, principalement Louis Lambert et Séraphita, comme les œuvres majeures de sa grande série des Etudes philosophiques. Cette partie qu’on peut appeler « ésotérique » de l’œuvre de Balzac est peu connue et encore incomplètement explorée. Elle est pourtant un secteur très curieux, et, par certains aspects, très moderne de La Comédie humaine.

LOUIS LAMBERT (1832) Et nunc et semper dilectae dicatum Ce roman d’Honoré de Balzac est paru aux éditions Gosselin en 1832 et en 1836. Dans la lignée des Etudes philosophiques, Werdet éditera peu après Séraphita. Ces œuvres seront rattachées à La Comédie humaine chez Furne en 1845.

Analyse de l’oeuvre C’est la biographie d’un enfant prodige accablé par ses dons et par la puissance de sa pensée : un grand amour lui fait apercevoir un tel épanouissement et une sorte d’ «ascension » si enivrante vers le bonheur qu’il ne peut supporter cette surcharge, ce survoltage des sentiments, son cerveau cède sous ce poids écrasant. « C’est, dit Balzac, la pensée tuant le penseur. » Le roman est la « biographie intellectuelle » de ce jeune prodige depuis le début de son adolescence jusqu’à cette période de surtension. Bien qu’il le présente comme l’histoire d’un de ses camarades du collège de Vendôme, Balzac a construit son personnage à partir de certains dons qu’il avait lui-même, de certaines sensations qu’il avait lui-même connues, des lectures qui avaient orienté sa réflexion. C’est, en partie, une autobiographie imaginaire, dans laquelle Balzac est à la fois témoin, et, à certains endroits, objet du témoignage. Naturellement, c’est ce dernier aspect de Louis Lambert qui s’est prêtée le plus facilement aux recherches des balzaciens. Ils n’ont pas eu de peine à trouver dans la jeunesse de Balzac et dans ses premières tentatives littéraires des jalons qui rejoignaient l’itinéraire de Louis Lambert. Ce que nous connaissons de son enfance laissée à l’abandon, de son humeur contemplative, de ses rêveries qu’on lui reprochait – ses études décevantes chez les oratoriens de Vendôme, sa distraction, ses punitions, un coma inexpliqué de sa quatorzième année qui entraîna son retour dans sa famille – sont déjà des traits qui donnent une certaine ressemblance avec l’enfance de Louis Lambert que Balzac a transposée en d’autres circonstances.

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 Honoré de Balzac

Les premières ébauches de sa jeunesse, ses « notes philosophiques » et surtout les deux œuvres inachevées auxquelles il donna le titre de Falthurne témoignent de sa curiosité précoce à la fois pour les miracles des thaumaturges et pour le mysticisme. L’une de ces ébauches décrit les pouvoirs d’une magicienne qui combat au Xe siècle aux côtés des Normands installés à Naples contre les troupes de Byzance. L’autre est un poème en prose qui décrit un triomphe mystique, l’ascension d’une jeune fille parmi les anges : Balzac définira, près de vingt ans plus tard, la signification de ce manuscrit en l’offrant à Mme Hanska, relié avec le manuscrit de Séraphita, comme une première esquisse de l’œuvre définitive qu’il lui offrait. Plus tard, dans ses romans de jeunesse, Balzac met en scène un savant, héritier de la science des mages de l’Inde et du Tibet, il montre des miracles du magnétisme et des bizarreries du somnambulisme ; en un certain endroit, il place déjà un de ces « foudroiements » par la pensée qui lui fourniront plus tard le dénouement d’Adieu. Pendant toute cette période où le vrai Balzac est encore invisible, on sent que la pensée est déjà pour lui une « force vive », comme il le dit timidement dans sa première œuvre importante, la Physiologie du mariage, comme il le montrera dans Louis Lambert ; mais en ses œuvres de jeunesse, il s’en tient prudemment à une expression ironique de sa pensée. L’idée de donner une image de lui-même dans une sorte de « biographie » de l’auteur lui vient un peu plus tard, au moment où il écrit le premier des romans qu’il recueillera dans La Comédie humaine, le Dernier Chouan (aujourd’hui Les Chouans), qu’il intitulait dans son manuscrit Le Gars. La préface du Gars, dans laquelle Balzac se présente sous le nom d’un autodidacte appelé Victor Morillo, a été reconnue par tous les critiques de Balzac comme une première esquisse de son Louis Lambert. Fils de tanneur comme le petit Louis Lambert, dévorant au hasard les livres d’une riche bibliothèque dont il peut disposer, solitaire, rêveur, « vivant pour ainsi dire par les seules forces de ces sens intérieurs qui constituent, selon lui, un double être en l’homme », il a le don de reconstituer en pensée, comme s’il les avait lui-même vécues, les scènes qu’il lit dans ses livres, avec tous leurs détails et toutes leurs couleurs. C’est le don même de Balzac, tel qu’il se décrit lui-même quand il parle de sa jeunesse. Et à la fin de ce portrait, Balzac définit ce Victor Morillon par un mot qui s’appliquerait admirablement au petit Louis Lambert : « Il est, dit-il, selon le mot de Leibnitz, un miroir concentrique de l’univers. » Cette page, écrite en 1829, est le premier état du roman que publiera Balzac trois ans plus tard, en 1832, sous le titre Notice biographique sur Louis Lambert. Sous ce titre modeste, le roman de Balzac n’est encore qu’une nouvelle sensiblement différente par son étendue de ce que sera définitivement le roman intitulé Louis Lambert. Le manuscrit original de la Notice biographique, conservé à la collection Lovenjoul à Chantilly, fournit une « copie » de 133’000 signes tandis que le roman sous sa forme définitive en 1836 contient 300’000 signes. Cette comparaison donne une idée du travail de mise au point que Balzac poursuivit pendant quatre ans à travers six éditions successives. Il voulait faire une œuvre qui traduisit complètement sa pensée et à laquelle on ne pût adresser aucun reproche. La comparaison de ce point de départ et du dernier texte a donné à deux balzaciens éminents, Marcel Bouteron et Jean Pommier, l’occasion de publier une des études les plus minutieuses qui aient été consacrées à un roman de Balzac. Malgré l’étendue différente de ces deux textes de Louis Lambert, celui du manuscrit et celui que nous lisons aujourd’hui, les thèmes et les parties les plus importantes du roman se trouvent presque tous déjà, plus ou moins développés, dans le manuscrit originel. Le récit commence par l’enfance végétative du petit Louis Lambert, par ses rêveries, pareilles à celles de Victor Morillon, par une rencontre avec Mme de Staël (pourquoi Mme de Staël ? personne n’a pu l’expliquer) et par une conversation étonnante de l’enfant et de la célèbre promeneuse sur un écrivain aussi difficile et aussi peu connu que Swedenborg. Ensuite, vient la délicieuse description du collège de Vendôme où Mme de Staël a fait entrer son petit protégé, et le récit de l’amitié du narrateur et du petit Louis Lambert. Puis l’exposé des dons et des pouvoirs singuliers de l’enfant, les réflexions qu’il confie à son petit camarade et qui s’organisent peu à peu dans son esprit, enfin le résumé de ce Traité de la volonté qui fut saisi et détruit par le régent de l’étude et qui contenait la théorie que Louis Lambert avait tirée de ses expériences, épisode authentique, paraît-il, des années d’études de Balzac à Vendôme. Ensuite vient la séparation des deux amis quand le narrateur est obligé de quitter le collège à la suite du coma qui avait mis fin au séjour de Balzac au collège. Alors commence, comme dans le texte définitif, une seconde partie. Quelques années plus tard, le narrateur retrouve par hasard l’oncle de Lambert qui lui raconte la suite, c’est-à-dire la rencontre de Louis et de Mlle de Villenoix, leurs fiançailles, les lettres de Louis à sa fiancée, puis sa crise quelques jours avant le mariage et l’état de prostration dans lequel se trouvait Louis Lambert à partir de ce jour, une sorte de contemplation ou d’extase perpétuelle. Mlle de Villenoix ne l’a pas abandonné et le veille pendant ses longues heures de silence et d’apparente hébétude. C’est la dernière image que le narrateur garde de l’enfant prodige qu’il avait tant admiré.

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          Collège de Vendôme

Balzac ajouta dans les remaniements postérieurs d’importants développements à la description du collège de Vendôme et à l’exposé des idées contenues dans le Traité de la volonté. Deux additions étrangères au manuscrit furent insérées plus tard. La première est la longue lettre en plusieurs fragments dans laquelle Louis Lambert décrit sa vie à Paris en montrant combien l’infusion de la pensée qui explique les différents règnes de l’animalité explique aussi les différentes zones de la société. Cette addition fut publiée à part dans la Revue de Paris en 1835 dans un « Weinheim » des environs de Vienne pendant que Balzac attendait d’être reçu par le prince Schwartzemberg et qu’il reprit et compléta pour la première édition complète de Louis Lambert publiée en 1836. Ces additions ne changent pas l’idée principale. Elles en montrent surtout l’application au système social et les conséquences philosophiques qu’on peut en tirer. L’intention de Balzac dans Louis Lambert est de montrer sur un exemple vivant un des « cas limites » du fonctionnement de la pensée et d’en tirer une théorie de la pensée et du pouvoir de la pensée qu’il appelle dans son langage une théorie de la volonté. Il part d’une première remarque simple, déjà exprimée dans la biographie de Victor Morillon. Un des traits essentiels du petit Louis Lambert est son don de transcrire visuellement tout ce qu’il puise dans ses lectures. Le premier attribut de la pensée est donc de fabriquer du visuel. Mais Balzac va plus loin. Louis Lambert et déjà Victor Morillon ont un don d’intuition : ils ne se bornent pas à reconstituer, ils devinent, ils comprennent immédiatement par la vision, et même ils saisissent l’essence sous l’apparence, d’un seul coup d’œil ils voient tout, saisissant le présent, embrassant le passé, apercevant l’avenir sur la seule vue d’un visage, d’après un geste, un moment. Comme Cuvier reconstitue un animal à partir d’un os. Ce don d’intuition, qui est une vision directe et instinctive, une projection de la pensée à travers les êtres, Balzac l’appelle le don de spécialité et le regarde comme un des attributs du génie. Il est dû à une projection violente de la pensée qui transperce, voit l’invisible comme un rayon : nous dirions comme une sorte de laser. Voilà le point de départ, une remarque que tout le monde peut faire, c’est simplement une instinctive et exceptionnelle perspicacité. Mais quelle est la nature de cette pensée qui fonctionne en nous comme un instinct ? Il faut se souvenir ici que, sous le nom de pensée, Balzac désigne à la fois les idées et les sentiments. La pensée, estime Balzac, existe et circule en nous comme un fluide : c’est la première découverte que fait Louis Lambert sur lui-même. Ce fluide, on peut l’accumuler et le concentrer volontairement. Première expérience : Lambert est capable de s’accrocher à une lourde table et de la retenir, bien que dix élèves unissent leurs efforts pour la lui arracher : concentration de la forme particulière de pensée appelée volonté. Deuxième constatation : la pensée est créatrice. Lambert pense avec force qu’il s’est coupé avec son couteau : il souffre exactement comme s’il s’était coupé réellement. Troisième constatation : la pensée a des émanations. Lambert regarde fixement le surveillant d’étude : son regard contient tant de choses et a tant de force qu’il lui attire aussitôt un pensum. Question : la pensée est-elle en nous semblable à une pile qui émet une décharge plus ou moins violente ? Peut-on agir sur les autres ou sur soi en dirigeant ce fluide à volonté ? La pensée, les idées, les sentiments, la volonté sont-ils des émetteurs de corpuscules, plus ou moins intenses, plus ou moins dangereux ? C’est ce que Balzac appelle la matérialité de la pensée, thèse centrale du Traité de la volonté. Picture 4 Cette thèse de la concentration et de la projection de la pensée va très loin, elle est centrale pour Lambert. Cette projection n’est pas une image. La pensée est tellement un fluide, une « décharge », qu’elle agit comme la décharge d’une pile électrique, elle est une sorte de projectile, elle frappe et irradie. Observation de Lambert enfant : sa mère, en se peignant, produit des étincelles. Toute pensée, sentiment ou idée, produit une émanation, un scintillement semblable. Elle agit : d’où le fanatisme et la puissance du fanatisme. La pensée donne à son émetteur de la force et des pouvoirs qui paraissent exorbitants. Mais, en même temps, elle protège : rassemblant toute la force intérieure sur un point unique, elle la mobilise, la replie sur elle-même, fluide rétractile, la retire par conséquent à ce qui pourrait la blesser ou l’exploiter. Exemples tirés, à ce moment-là, du martyrologue. L’intrépidité du martyr dans ses supplices vient de ce que sa pensée est toute absorbée dans l’idée de son sacrifice ou dans l’attente des félicités prochaines : par cette rétractation de la pensée, il se dérobe à la souffrance. Le martyrologe chrétien est-il pour Balzac origine de sa réflexion ou preuve de son système ? On ne sait. En tout cas, dans Louis Lambert, il est exemple et argument. Deuxième série de constatations : il peut exister un accord mystérieux, en apparence inexplicable, entre la pensée qui naît en nous et une réalité que notre pensée ne connaît pas. Expérience capitale : le manoir de Rochambeau, où Lambert n’était jamais allé, aperçu en rêve, la veille de la promenade où les élèves y vont pour la première fois. Comment expliquer ce phénomène du déjà vu ? Documentation complémentaire : Apollonius de Tyane, alors en Asie, annonçant la mort de Denys, tyran de Syracuse, au moment où elle a lieu, le philosophe Plotin accourant auprès de son ami Porphyre qui veut se suicider, l’évèque Alphonse de Liguori voyant à distance la mort du pape Ganganelli et l’annonçant au moment même où il meurt. Phénomène de transmission de pensée analogue au déjà vu. Même question sur les prémonitions. Nombreux exemples attestés chez les ésotériques de l’Antiquité, Cardan ou Apollonius de Tyane. Document annexe : la communication avec les morts, exemple du grand-père de Lambert allant au cimetière et consultant sa femme qui lui indique où il retrouvera des titres de créances perdus. Comment expliquer ces connexions qui supposent que le temps et l’espace sont abolis ? Faut-il croire, comme l’affirme Swedenborg, à l’existence en nous d’un être intérieur, qui serait notre moi véritable, affranchi du temps et de l’espace, voyageur et voyant à la foi ? Ou faut-il supposer qu’il existe en nous des organes internes, pareils à ceux de certains animaux qui reçoivent des messages, perçoivent des ondes que nos sens ne connaissent pas ? D’où la question que se pose Louis Lambert : « La vue et l’ouïe ne sont-ils pas les gaines d’un outil merveilleux ? », c’est-à-dire un étui, un encadrement qui se substitue à nos organes internes et en empêche le fonctionnement ? Louis Lambert hésite entre ces deux explications, l’une purement spiritualiste, celle que présente Swedenborg, l’autre matérialiste, recourant à une

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Emmanuel Swedenborg (1688-1772), scientifique, théologien et philosophe suédois du XVIIIe siècle.

hypothèse physiologique. Il hésite encore quand il en exprime le corollaire, sa doctrine des correspondances qui explique les sympathies et les antipathies instinctives, et aussi la divination, l’astrologie. Sommes-nous au centre d’un réseau de communication qui nous relie ou nous oppose à toutes choses créées que des sens internes particulièrement exercés peuvent surprendre et percevoir, c’est l’explication physiologique ? Ou faut-il croire, comme Swedenborg, que l’univers est partagé en « sphères » de même intensité spirituelle et que l’être intérieur en nous, appartenant à l’une de ces « sphères », est aussitôt relié et informé par ce qui émane de ces sphères dans lesquelles il baigne, communication immédiate qui lui permet de sentir et de savoir ce qui demeure inconnu à ceux qui sont étrangers à cette patrie spirituelle ? Balzac hésitera jusqu’au bout entre ces deux systèmes d’explication entre lesquels se partagent encore les « pensées » de Louis Lambert citées en appendice. Finalement, dans la fin de son roman consacrée à l’amour de Louis Lambert, c’est la version Swedenborgienne qui l’emporte. Louis et Pauline de Villenoix se reconnaissent parce qu’ils appartiennent par leur moi intérieur à la même patrie. Ils se retrouvent à un certain étage de la pureté et de la délicatesse des sentiments, de la joie de vivre, dans l’interaction magnifique du rayonnement des âmes. Mais cette surcharge de joie est trop grande pour Louis Lambert. Il est tué par cette joie comme l’héroïne d’Adieu est foudroyée par le bonheur qu’elle éprouve en se retrouvant en de ça de la mort et de la folie, à l’instant où le malheur est encore non avenu. Louis Lambert est détruit comme elle ou plutôt son cerveau, non son corps, mais par la même congestion du bonheur aperçu : comme à la fin de César Birotteau. La lettre de Louis Lambert à son oncle pendant son séjour à Paris complète le système physiologique de Louis Lambert par un certain nombre de réflexions qui ne sont pas propres au personnage lui-même, mais qui nourrissent la Comédie humaine tout entière. Il faut la regarder comme une sorte de préface-relais de Balzac qui prépare déjà la présentation qu’il fera de son œuvre dans le célèbre Avant-propos de 1842 qui définit pour ses lecteurs la signification que Balzac a voulu donner à La Comédie humaine. Dès son arrivée à Paris, Louis Lambert retrouve le discours et presque les mots que Vautrin adressera à Rastignac au début du Père Goriot quand il lui explique les lois du monde parisien sous la charmille de « maman Vauquer ». On y retrouve aussi le désespoir de Raphaël de La Peau de chagrin décrivant la solitude et le désespoir de l’intellectuel pauvre perdu dans le Paris de la Restauration. Mais Louis Lambert ne s’arrête pas là. Dans le jugement qu’il porte sur la société, il constate les trois grands échecs de son temps, l’échec de la science qui ne parvient pas à une explication unitaire, l’échec de la politique qui échoue dans la conduite des hommes, l’échec de la civilisation qui ne peut arrêter la décadence. « La force est toujours l’unique loi (du monde), le succès sa seule sagesse… » La société est toujours « un contrat entre les forts et les faibles ». L’échec de la philosophie n’est pas moins grand. Louis Lambert place ici le raisonnement que reproduira Séraphita sur la contradiction qui existera toujours entre la coexistence de Dieu et de la substance ou le dogme de la Création de la substance, l’une amputant Dieu de sa toute-puissance, l’autre faisant de toute chose créée une partie de Dieu. La théologie ne parvient pas à sortir de cette difficulté. Toutes les religions retrouvent la même impasse, elles aboutissent, sans le vouloir, à un syncrétisme dont on suit le cours dans toute l’histoire de l’humanité. Comment sortir de cette impuissance intellectuelle ? Balzac ne fait que contourner cette difficulté, il l’esquive quand il revient à l’infusion inégale de la pensée dans tous les règnes de la Création. Partant de ce principe qui est la conclusion de son système physiologique, Louis Lambert propose d’en tirer l’explication de la société. « Le secret des différentes zones morales dans lesquelles transite l’homme se trouvera, affirme-t-il, dans l’Animalité tout entière. » La zoologie sociale proclamée dans cette lettre est le lien qui unit Louis Lambert et les autres Etudes philosophiques à tout le système descriptif de La Comédie humaine. Le développement des « facultés matérielles » explique, dans l’Animalité comme dans l’Humanité, le passage d’une sphère de la sensibilité à l’autre. La matérialité de la pensée s’inscrit dans les formes et dans les actions que l’histoire des mœurs décrit. Les objets familiers, le costume, les demeures sont des signes sur lesquels chaque sensibilité met son empreinte, et montre ainsi, non seulement un caractère ou un trait de mœurs, mais aussi comment s’exprime et s’extériorise un certain degré d’avancement dans la vie spirituelle. L’action des personnages ne définit pas seulement une intrigue, elle indique un cheminement dans le bien ou dans le mal, elle détermine un certain classement des êtres. On comprend par là qu’ils n’appartiennent pas seulement à une certaine espèce sociale, mais aussi, en même temps, à une certaine famille de la spiritualité. Le Livre mystique est ainsi, par une certaine explication de l’origine et de l’essence des sentiments, une sorte de prologue au drame collectif qui se joue entre les hommes dans toute La Comédie humaine. A la fin, Louis Lambert annonce même le poème mystique qui va l’accompagner. « Je suis revenu à Swedenborg », dit-il, et il annonce son projet d’ascèse et de purification : « Chaque homme peut savoir s’il lui est réservé d’entrer dans une autre vie, et si ce monde a un sens : cette expérience, je vais la tenter. » Ce lendemain de Louis Lambert, ce sera Séraphita.

L’histoire L’auteur raconte l’amitié qu’il a vécue avec son camarade Louis Lambert au collège de Vendôme. Balzac est impressionné par l’arrivée du petit protégé de Madame de Staël, qui se révèle très vite un enfant surdoué. De par sa nature solitaire et ses recherches philosophiques sur le pouvoir de la pensée, Louis Lambert se démarque très vite de ses camarades. Il est rejeté, moqué par ces derniers – brimé, incompris de ses professeurs, il est régulièrement sanctionné – et son traité sur la volonté, fruit de ses recherches sur la pensée et le pouvoir de la pensée, est confisqué et détruit par le régent. Il quitte le collègue à 18 ans. Ses parents étant décédés, il trouve, pour quelque temps, refuge chez son oncle Lefebvre à Blois. Désireux d’achever ses études, il entamera un séjour de 3 ans à Paris, période durant laquelle il mangera les quelques milliers de francs de son héritage.

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Le Bien et le Mal

L’argent dilapidé, Louis Lambert s’en retournera auprès de son oncle à Blois. Alors qu’il se trouve au théâtre, il fait la rencontre de Mlle de Villenoix dont il tombe éperdument amoureux. Essentiellement cérébral, plein de pensées neuves et dominé par un système extatique, Louis est foudroyé par l’intensité des pensées amoureuses qui l’assaillent. Ce malheur arrive quelques jours avant son mariage avec Mlle de Villenoix. Malgré les soins des médecins, son cas est désespéré et incurable : De catalepsie en catalepsie, la vie de l’âme avait pris le pas sur la vie du corps. Selon la coutume des belles âmes, Mlle de Villenoix, se consacra à donner à Louis les soins et l’attention nécessaires dont il avait besoin. Louis Lambert mourut à 28 ans.

Les personnages Lambert : Tanneur à Montoire, a épousé une Lefebvre, d’où un fils, Louis né en 1797 élève au collège de Vendôme, puis penseur. Louis a pour fiancée Pauline Salomon de Villenoix. Il meurt en 1824. Lefebvre : Prêtre, curé assermenté, curé de Mer, né vers 1740 et oncle de Louis Lambert. Une de ses sœurs a épousé le père de Louis Lambert. Picture 7 Villenoix : Famille juive représentée par : Joseph, Un frère qui épouse X.. ; d’où un fils Joseph, baron Salomon de Villenoix ; lequel a une fille naturelle, Pauline, née en 1800, fiancée à Louis Lambert.   1) Source analyse/histoire : Préface tirée du 26ème tome de La Comédie Humaine éditée chez France Loisirs en 1987, d’après le texte intégral publié sous la caution de la Société des Amis d’Honoré de Balzac, 45, rue de l’Abbé-Grégoire – 75006 Paris. 2) Source généalogie des personnages : Félicien Marceau : « Balzac et son monde de chez Gallimard ».

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