L’Elixir de longue vie
LA COMEDIE HUMAINE – Honoré de Balzac XVe volume des œuvres complètes de H. DE BALZAC par Veuve André HOUSSIAUX, éditeur, Hébert et Cie, Successeurs, 7, rue Perronet, 7 – Paris (1874)
Etudes philosophiques
L’ELIXIR DE LONGUE VIE (1830)
Œuvre dédiée par Honoré de Balzac AU LECTEUR
Au début de la vie littéraire de l’auteur, un ami, mort depuis longtemps, lui donna le sujet de cette étude, que plus tard il trouva dans un recueil publié vers le commencement de ce siècle ; et, selon ses conjectures, c’est une fantaisie due à Hoffmann de Berlin, publiée dans quelque almanach d’Allemagne, et oubliée dans ses œuvres par les éditeurs. La Comédie humaine est assez riche en inventions pour que l’auteur avoue un innocent emprunt ; comme le bon La Fontaine, il aura traité d’ailleurs à sa manière, et sans le savoir, un fait déjà conté. Ceci ne fut pas une de ces plaisanteries à la mode en 1830, époque à laquelle tout auteur faisait de l’atroce pour le plaisir des jeunes filles. Quand vous serez arrivé à l’élégant parricide de don Juan, essayer de deviner la conduite que tiendraient, en des conjectures à peu près semblables, les honnêtes gens qui, au dix-neuvième siècle, prennent de l’argent à rentes viagères, sur la foi d’un catarrhe, ou ceux qui louent une maison à une vieille femme pour le reste de ses jours ? Ressusciteraient-ils leurs rentiers ? Je désirerais que des peseurs-jurés de conscience examinassent quel degré de similitude il peut exister entre Don Juan et les pères qui marient leurs enfants à cause des espérances ? La société humaine, qui marche, à entendre quelques philosophes, dans une voie de progrès, considère-t-elle comme un pas vers le bien, l’art d’attendre le trépas ? Cette science a créé des métiers honorables, au moyen desquels on vit de la mort. Certaines personnes ont pour état d’espérer un décès, elles le couvent, elles s’accroupissent chaque matin sur un cadavre, et s’en font un oreiller le soir : c’est les coadjuteurs, les cardinaux, les surnuméraires, les tontiniers, etc. Ajoutez-y beaucoup de gens délicats, empressés d’acheter une propriété dont le prix dépasse leurs moyens, mais qui établissent logiquement et à froid les chances de vie qui restent à leurs pères ou à leurs belles-mères, octogénaires ou septuagénaires, en disant : « Avant trois ans, j’hériterai nécessairement, et alors… » Un meurtrier nous dégoûte moins qu’un espion. Le meurtrier a cédé peut-être à un mouvement de folie, il peut se repentir, s’ennoblir. Mais l’espion est toujours espion ; il est espion au lit, à table, en marchant, la nuit, le jour ; il est vil à toute minute. Que serait-ce donc d’être meurtrier comme un espion est vil ? Hé ! bien, ne venez-vous pas de reconnaître au sein de la société une foule d’êtres amenés par nos lois, par nos mœurs, par les usages, à penser sans cesse à la mort des leurs, à la convoiter ? Ils pèsent ce que vaut un cercueil en marchandant des cachemires pour leurs femmes, en gravissant l’escalier d’un théâtre, en désirant aller aux Bouffons, en souhaitant une voiture. Ils assassinent au moment où de chères créatures, ravissantes d’innocence, leur apportent, le soir des fronts enfantins à baiser en disant : « Bonsoir, Père ! » Ils voient à toute heure des yeux qu’ils voudraient fermer, et qui se rouvrent chaque matin à la lumière, comme celui de Belvidéro dans cette Etude. Dieu seul sait le nombre des parricides qui se commettent par la pensée ! Figurez-vous un homme ayant à servir mille écus de rentes viagères à une vieille femme, et qui, tous deux, vivent à la campagne, séparés par un ruisseau, mais assez étrangers l’un à l’autre pour pouvoir se haïr cordialement sans manquer à ces convenances humaines qui mettent un masque sur le visage des deux frères dont l’un aura le majorat, et l’autre une légitime. Toute la civilisation européenne repose sur L’HEREDITE comme sur un pivot, ce serait folie que de le supprimer ; mais ne pourrait-on, comme dans les machines qui font l’orgueil de notre Age, perfectionner ce rouage essentiel. Si l’auteur a conservé cette vieille formule AU LECTEUR dans un ouvrage où il tâche de représenter toutes les formes littéraires , c’est pour placer une remarque relative à quelques Etudes, et surtout à celle-ci. Chacune de ses compositions est basée sur des idées plus ou moins neuves, dont l’expression lui semble utile, il peut tenir à la priorité de certaines formes, de certaines pensées qui, depuis, ont passé dans le domaine littéraire et s’y sont parfois vulgarisées. Les dates de la publication primitive de chaque Etude ne doivent donc pas être indifférentes à ceux des lecteurs qui voudront lui rendre justice. La lecture nous donne des amis inconnus, et quel ami qu’un lecteur ! nous avons des amis connus qui ne lisent rien de nous ! l’auteur espère avoir payé sa dette en dédiant cette œuvre DIIS IGNOTIS.
Analyse de l’oeuvre C’est à un tout autre moment de la carrière de Balzac que nous transporte la nouvelle intitulée L’Elixir de longue vie, publiée dans la Revue de Paris en octobre 1830. Cette date n’est pas indifférente. C’était le premier article inséré par Balzac dans la Revue de Paris, publication aristocratique qui n’était ouverte qu’aux écrivains « arrivés ». Cette promotion méritait un effort : il fallait briller. Et Balzac « brilla » en effet pour répondre à ce qu’on attendait de lui. Il brilla par l’invention, il brilla par le style. Il se présenta en « habit de lumière » dans cette arène distinguée de l’actualité littéraire. Cela se sent un peu trop. Pour commencer, étant peu sûr de lui-même, il emprunte le sujet. La mode était alors aux contes fantastiques. Balzac était tenté par ce breuvage puisque, à la même époque, il écrivait les deux contes, Zéro et La Danse des pierres, qui seront réunis dans L’Eglise. Pour l’Elixir de longue vie, Balzac en puisa l’argument « dans un recueil publié vers le commencement de ce siècle », selon son propre aveu dans l’avis Au lecteur qu’il plaça plus tard en tête de son récit. Les enquêtes des balzaciens ont complété cette indication en découvrant qu’il s’agit d’un conte intitulé L’Elixir d’immortalité qui avait paru, en effet, en 1805 sans nom d’auteur dans un recueil collectif L’Almanach du prosateur. Ce conte, dont Balzac reprit les principaux incidents, n’était lui-même que le résumé d’une nouvelle que le pamphlétaire anglais Bernard Steele, collaborateur d’Addison, avait publiée en 1715 dans le Spectator sous le titre Histoire de Valentin, fameux chimiste allemand et du secret qu’il avait trouvé, etc. Cette anecdote est un peu différente du récit de Balzac : un vieux savant qui avait trouvé l’élixir d’immortalité le remet à un fils étourdi qui tarde à faire son office et se résigne à utiliser la précieuse liqueur à son profit : mais au moment où celui-ci meurt, sa résurrection bouleverse tellement son fils, cette fois-ci obéissant et fidèle, que le flacon lui échappe et se brise avant que l’opération n’ait été terminée. Balzac changea le caractère du conte et le rendit atroce en faisant du détournement volontaire de l’élixir un meurtre prémédité et en attribuant ce parricide à Don Juan Tenorio, le fanfaron célèbre dont Tirso de Molina et après lui Molière avaient fait l’image du cynisme et de l’impiété. Balzac crut indispensable d’ajouter à l’horrible en plaçant l’agonie du père pendant une scène d’orgie, en multipliant les détails sinistres qui faisaient de la mort du père une scène monstrueuse, et enfin, au dénouement du conte, en inventant une scène macabre qui joignait à cette peinture complaisante du cynisme la profanation et la dérision. Cette provocation tapageuse était destinée, bien entendu, à distinguer, parmi beaucoup d’autres incendiaires, le nouveau collaborateur de la Revue de Paris. Pour ne rien négliger, Balzac avait enjolivé son style de toutes les paillettes, bouffettes et guipures qui pouvaient éblouir le lecteur. On comprend en lisant ces phrases trop élégantes, trop chatoyantes, les épithètes par lesquelles Sainte-Beuve définissait alors le style de Balzac en le disant « fétide et putride, spirituel, pourri, enluminé, papilloté et merveilleux par sa manière…d’enfiler des perles imperceptibles et de les faire sonner d’un cliquetis d’atomes ». Cette définition, étonnante pour le lecteur d’Eugénie Grandet et de La Femme abandonnée, caractérise pourtant assez exactement le jeune « arriviste » de 1830 que le succès assagit, mais pas complètement. Ces efforts pour être étincelants ne firent pourtant pas du Don Juan de Balzac un personnage inoubliable. A la fois conventionnel, musqué et provocant, il n’est toutefois qu’une image bariolée et superficielle du cynisme. Le Don Juan de Balzac, avoue René Guise, ne fait pas grande figure dans la lignée des Don Juan de la littérature. Quant à la signification sociale ou philosophique de la nouvelle, il faut vraiment une extrême indulgence pour accepter son classement dans les Etudes philosophiques au moyen de l’explication amphigourique que Balzac en fait donner par Felix Davin : « Voyez comme dans L’Elixir de longue vie l’idée hérédité devient meurtrière à son tour et combien est acéré le poignard qu’elle met dans la main des enfants. » « L’idée hérédité » n’a rien à voir dans cette affaire et Balzac justifie fort mal un remplissage dont les Etudes philosophiques auraient pu se passer. Nouvelle achevée par l’auteur à Paris, octobre 1830.
L’Elixir de longue vie est un conte fantastique d’Honoré de Balzac. Cette version du mythe de Don Juan, parut en pré-publication dans la Revue de Paris, en 1830, sous le titre de Festin et Fin, puis en 1846 dans l’édition Furne. Elle figure dans les Etudes philosophiques. Un des premiers textes signés du nom de l’auteur : Honoré de Balzac, cette version du mythe de Don Juan est parmi les moins connues du grand public comme le regrette Bernard Guyon. Le texte semble artificiellement rattaché aux Etudes philosophiques par un « avis au lecteur » un peu plaqué. On y voit très nettement l’influence d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann et de ses Elixirs du diable que Balzac a certainement lus.
L’Histoire Cette nouvelle prend place dans un palais de Ferrare : le jeune Don Juan et le prince de la maison d’Este sont réunis pour un festin accompagné de sept jeunes et jolies courtisanes. Les jeunes gens discutent et Don Juan se plaint à sa compagnie de la longévité de son père, Bartholoméo Belvidéro, un richissime nonagénaire qui lui a toujours permis de vivre dans un grand luxe et sans jamais rien lui interdire. Lorsqu’on les interrompt pour prévenir le jeune homme que le vieillard est mourant, Don Juan se rend au chevet de son père qui lui révèle alors qu’il est en possession d’une fiole contenant un liquide qui permettra de le ressusciter. Pour cela, il nécessite cependant l’aide de son fils qui doit le frictionner tout entier après sa mort. Devant le cadavre de son père, Don Juan ne parvient pas à se soumettre à la dernière volonté de son père. De ce fait, les servants commencent l’embaumement du corps. Le soir venu, Don Juan se décide à imbiber d’élixir l’œil de son père qui reprend aussitôt vie. Stupéfait par l’action de ce mystérieux liquide, Don Juan décide de crever l’œil de son père, commettant ainsi un parricide. Pour ne pas éveiller de soupçons, il enterre son père avec tout le faste permis et fait poser une statue majestueuse sur la tombe du défunt. Don Juan devient richissime et véritablement puissant ; il peut donc librement s’abandonner aux plaisirs de la vie et à la conquête des plus hautes sociétés. Il acquiert une grand popularité auprès de la société mondaine et même du pape ; il conservera toute sa vie la fiole pour assurer sa propre résurrection. Quand il devient, à son tour, un homme vieux et vulnérable, il se retire dans un château non loin de la ville de San Lucar et épouse une jeune Andalouse dévouée et gracieuse, du nom de Done Elvire. A l’inverse de son père, le fils de Don Juan, Philippe Belvidéro, est vertueux et pieux. Done Elvire et lui prennent soin du vieillard jusqu’à son dernier jour, non pas par amour pour sa personne mais pour gagner un maximum d’argent. Don Juan, sentant la mort approcher, fait appeler son fils et lui demande, à son tour, la même faveur que son père des années auparavant, mais sans pour autant lui révéler les vertus du contenu de la fiole. Philippe exécute les instructions de son père et donne peu à peu vie à son visage, puis à son bras droit avec lequel il étrangle le jeune homme qui lâche la fiole, laissant s’échapper le précieux liquide. En quelques instants, une foule s’amasse autour du corps du vieillard qui a récupéré son visage de jeune homme. Tous les ecclésiastiques et autres témoins prennent la décision de canoniser Don Juan. Lors de son enterrement, Don Juan prononce des injures blasphématoires et la tête ressuscitée tue un abbé en se détachant du corps. Cette nouvelle se termine donc sur un enterrement satanique et meurtrier. Cela n’est pas sa seule particularité car l’auteur intervient à deux reprises dans le récit; d’abord dans l’introduction, après le parricide, ensuite, à la fin, quand il commence une réflexion sur ce qu’il appelle lui-même un mythe mais qu’il laisse le lecteur faire lui-même.
Les personnages Bartholoméo Belvidéro : Famille noble italienne du XVe siècle, comprenant Bartholoméo, sa femme Juana, leur fils Don Juan, leur bru Elvire et leur petit-fils Philippe. 1)
Source analyse : Préface tirée du 25ème tome de La Comédie Humaine éditée chez France Loisirs en 1987, d’après le texte intégral publié sous la caution de la Société des Amis d’Honoré de Balzac, 45, rue de l’Abbé-Grégoire – 75006 Paris.
2) Source notes et thèmes :Encyclopédie universelle Wikipédia.
3) Source généalogie des personnages : Félicien Marceau « Balzac et son monde – Gallimard ».
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