Les Petits Bourgeois
LA COMEDIE HUMAINE – Honoré de Balzac Ce roman ne fait pas partie de l’édition des œuvres complètes de H. DE BALZAC par Veuve André HOUSSIAUX, éditeur, Hébert et Cie, Successeurs, 7, rue Perronet, 7 – Paris (1877) – (Edition appartenant à la propriétaire du site) On le trouve, cependant, dans la Comédie humaine, première édition des Œuvres complètes de Balzac publiée chez Michel Lévy en 1864. Les éditeurs en firent alors la dernière des Scènes de la vie parisienne. Ce roman étant inachevé par la mort prématurée de Balzac. Il aurait été complété, à la demande du défunt, par son ami Charles Rabou. Il est, dès lors, possible que l’éditeur Veuve André Houssiaux n’aie pas souhaité de l’intégrer dans son édition de 1877. On ne le sait pas.
Scènes de la vie parisienne
LES PETITS BOURGEOIS
Œuvre dédicacée, A CONSTANCE VICTOIRE Voici, madame, une de ces œuvres qui tombent, on ne sait d’où, dans la pensée, et qui plaisent à un auteur avant qu’il puisse prévoir quel sera l’accueil du public, ce grand juge du moment. Presque sûr de votre complaisance à mon engouement, je vous dédie ce livre : ne doit-il pas vous appartenir comme autrefois la dîme appartenait à l’Eglise, en mémoire de Dieu qui fait tout éclore, tout mûrir, et dans les champs et dans l’intelligence ? Quelques restes de glaise, laissés par Molière à bas de sa colossale statue de Tartuffe, ont été maniés ici d’une main plus audacieuse qu’habile ; mais, à quelque distance que je demeure du plus grand des comiques, je serai content d’avoir utilisé ces miettes prises dans l’avant-scène de sa pièce, en montrant l’hypocrite moderne à l’œuvre. La raison qui m’a le plus encouragé dans cette difficile entreprise fut de la trouver dépouillée de toute question religieuse qui devait être écartée pour vous, si pieuse, et à cause de ce qu’un grand écrivain a nommé L’INDIFERENCE EN MATIERE DE RELIGION. Puisse la double signification de vos noms être pour le livre une prophétie ! Daignez voir ici l’expression de la respectueuse reconnaissance de qui ose se dire le plus dévoué de vos serviteurs, H. de Balzac.
Analyse de l’oeuvre Avec Les Petits Bourgeois, nous rencontrons le premier des trois grands romans que Balzac ne put terminer, les deux autres étant Les Paysans et Le Député d’Arcis. Mme de Balzac, après la mort de son mari, fit compléter le roman par Charles Rabou, que Balzac aurait, paraît-il, désigné lui-même comme l’auteur le plus capable de rédiger la suite. C’est dans ces conditions que le roman fut publié pour la première fois, en feuilleton, dans le journal Le Pays en juillet 1854, puis en librairie en 1856 et 1857. Il ne fut placé dans La Comédie humaine que dans la première édition des Œuvres complètes de Balzac publiée chez Michel Lévy en 1864. Les éditeurs en firent alors la dernière des Scènes de la vie parisienne. Pendant près de soixante ans, les lecteurs de Balzac lurent Les Petits Bourgeois avec la suite et le dénouement imaginés par Charles Rabou. Il fallut attendre l’édition de La Comédie humaine publiée par l’éditeur Louis Conard à partir de 1912 et qui ne fut achevée qu’en 1928 sous la direction de Marcel Bouteron pour que les lecteurs de Balzac aient à leur disposition le texte du roman incomplet écrit par Balzac sans qu’il soit accompagné des additions de Charles Rabou. C’est cette version authentique des Petits Bourgeois qui a été reproduite depuis cette date dans toutes les éditions de La Comédie humaine. Elle s’interrompt au milieu d’une scène et dans cette scène au milieu d’une phrase. Les allusions de Balzac dans sa correspondance sont assez nombreuses et assez claires pour que nous puissions avoir une idée de ce qu’il voulait faire et même de la suite probable des événements. D’abord, elles nous apprennent que l’idée du roman lui vint au début de décembre 1843 (peu après son retour de Saint-Pétersbourg où il avait passé quatre mois avec Mme Hanska), qu’il rédigea le manuscrit du 15 décembre 1843 au 18 janvier 1844, qu’il comptait publier son roman dans Les Débats parce que c’était le seul quotidien français autorisé en Russie. Le sujet du roman est défini dans une des premières lettres : « C’est le Tartufe moderne, arrivant sans fortune dans une famille et y jouant tous les rôles et comédies nécessaires pour épouser une héritière…L’œuvre va être intitulée Modeste (c’est le prénom de la jeune héritière) et composée de deux parties, l’une intitulée Un grand artiste et l’autre Le Drame du gendre…(Ce livre) vous amusera beaucoup par la réapparition de tous les personnages de La Femme supérieure (aujourd’hui Les Employés), non pas Rabourdin, mais les employés inférieurs des bureaux. » Dès le début de janvier, l’interprétation moderne que Balzac veut donner du Tartufe de Molière est ainsi précisée : « J’ai beaucoup avancé Un grand artiste, la première partie de Modeste. Ce sera un ouvrage qui vous surprendra. Molière avait fait l’avarice dans Harpagon, moi j’ai fait un avare avec le père Grandet. Eh bien ! dans Un grand artiste, je lutte encore avec lui pour le sujet de Tartufe. Il a montré l’hypocrite dans une seule situation, le triomphe (car dans la pensée de Molière, il n’y a que triomphe), Orgon est la bourgeoisie. Mais, moi, je veux faire le Tartufe de notre temps, le Tartufe-Démocrate-Philanthrope, c’est-à-dire à l’œuvre, et, au lieu d’un Orgon, personnage typique, séduisant cinq à six personnes de divers caractères et qui l’obligent à jouer tous les rôles… Je travaille avec plus d’ardeur et de confiance qu’au temps d’Eugénie Grandet. » Mais, quelques jours plus tard, Balzac, ayant avancé dans sa rédaction, aperçoit toute l’étendue de son projet : « La peinture de la bourgeoisie actuelle de Paris a pris tant d’espace que c’est devenu le sujet. Le Tartufe n’est plus la figure principale, c’est la bourgeoisie de 1830. Je ferai Gendres et belles-mères (c’est-à-dire Le drame du gendre, la seconde partie annoncée) autrement. » Et la même lettre annonce que, sur le conseil d’Hetzel, son éditeur de La Comédie humaine, le roman sera intitulé Les Bourgeois de Paris, qu’il sera plus long qu’il ne croyait, et qu’il fera quatre volumes. Et vingt-quatre heures plus tard, Balzac s’arrête et ne continuera pas. Pourquoi Balzac s’arrête-t-il ? C’est que l’étendue nouvelle du projet, le nombre des personnages, la nouvelle perspective à embrasser dans sa description, lui causent un moment d’hésitation. Les maux de tête qui l’avaient fait souffrir à Saint-Pétersbourg le reprennent, il ne peut plus écrire, les épreuves qu’on lui envoie de l’imprimerie l’épouvantent, dit-il. Et surtout, il vient de concevoir pour son coureur de dot une intrigue beaucoup plus amusante et surtout plus facile, que Mme Hanska lui a suggérée, c’est l’histoire de Modeste Mignon et des manœuvres du sublime poète Canalis pour s’assurer la fortune d’une nouvelle héroïne, bien plus facile à caractériser que l’héroïne effacée des Petits Bourgeois. La Modeste des Petits Bourgeois va donc devenir la Modeste du Havre sous le nom de Modeste Mignon : tandis que la Modeste que Balzac voulait peindre au milieu de la figuration des Employés portera désormais le nom de Céleste sous lequel elle est désignée aujourd’hui. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi Balzac changea si brusquement de cadre et les perspectives de son sujet. Il suffit de lire ce qui est écrit des Petits Bourgeois pour s’en apercevoir. D’abord l’immensité du tableau de la bourgeoisie a de quoi « épouvanter » en effet : il faut tout peindre, le milieu des employés enrichis du quartier de l’Observatoire n’est qu’un fragment de cet ensemble fluide qu’on appelle la bourgeoisie et qui va des comparses, le sournois Dutocq et l’inquiétant Cérizet au riche Minard, maire de son arrondissement et même à Anselme Popinot devenu ministre, et cette gageure de faire tenir dans une seule toile ce panorama social est une gageure impossible. Et surtout, la pauvre petite héroïne millionnaire, la douce, l’insignifiante Modeste, bientôt Céleste, est écrasée sous cette figuration, elle n’existe pas, elle n’intéresse pas, elle disparaît. Et avec elle disparaît la contrepartie du sujet du « coureur de dot » : les exigences que la jeune fille elle-même apporte par son idée de l’amour, par son programme. Il n’y a pas de programme de la soumise, de l’effacée Modeste-Céleste des Petits Bourgeois ; il ne peut pas y en avoir. Or, cette comédie du programme de la jeune fille est tellement inséparable pour Balzac du sujet du « coureur de dot » que Les Petits Bourgeois, dès le départ, apparaît comme un motif central flanqué de deux garnitures indispensables, Le Programme d’une jeune veuve et Gendres et belles mères, projets que Balzac prétendait fondre en une seule œuvre en écrivant son roman. C’est ce qu’annonce très clairement la première présentation des Petits Bourgeois citée plus haut, qui commence par ces phrases : « Voyez comme tout tourne en littérature. Voici plus de quatre ans que je ne sais comment faire pour accomplir l’œuvre intitulée Gendres et belles-mères, et voilà que le hasard me la jette sous la plume. Malgré la gentillesse et la facilité du sujet de Le Programme d’une jeune veuve, j’ai voulu faire une nouvelle intitulée Un grand artiste. C’est le Tartufe moderne etc. » On comprend alors que le développement monstrueux du motif central, les bourgeois de Paris, a entraîné le sacrifice des deux garnitures complémentaires, Gendres et belles-mères, ce lendemain du mariage, à laquelle Balzac renonça tout de suite et Le Programme d’une jeune veuve jolie comédie à laquelle il voudrait bien ne pas renoncer : à laquelle il ne renonça pas finalement puisque « le programme d’une jeune fille » mériterait d’être le sous-titre de Modeste Mignon, qui, du reste, remplaça Les Petits Bourgeois comme feuilleton des Débats dès le mois d’avril 1844. Ces transformations peuvent nous donner une piste pour imaginer le dénouement auquel pensait Balzac. Le roman est interrompu au moment d’une péripétie inventée par Balzac qui avait pour effet de changer toute la marche de la partie engagée. Le roman était jusqu’alors une savante partie d’échecs dont le romancier avait disposé patiemment toutes les pièces. Un coup imprévu, ou plutôt au moment où Balzac fait entrer en scène un mystérieux personnage dans lequel tous les lecteurs de Balzac reconnaissent le Corentin de Splendeurs et misères des courtisanes. On comprend alors que le jeune Tartufe qui porte le nom de Théodose de La Peyrade est le neveu de ce La Peyrade qui était le principal collaborateur de Corentin sous le nom de père Canquoëlle, on retrouve sa fille, la jeune fille Lydie que Vautrin avait fait enlever et violer par ses complices, elle vit dans le plus grand secret, elle est protégée par Corentin, elle aime la musique, elle a une voix merveilleuse. Charles Rabou terminera le roman en faisant épouser cette Lydie par Théodose qui succédera à Corentin à la tête de la police politique, tandis que le fils Phéllion, honnête mathématicien, épousera Céleste Colleville et héritera de ses millions. Cette fin vertueuse était-elle prévue par Balzac ? Ce bouleversement des données de l’intrigue semble l’indiquer. Mais cette hypothèse est fragile. L’happy end n’est pas un des procédés habituels de Balzac. Peu importe ce dénouement, du reste. Les petits Bourgeois annonçaient un des grands romans de Balzac : le pittoresque des personnages, le comique de la ménagerie bourgeoise, les carrières étonnantes quand on lit le roman dans la perspective de La Comédie humaine et en gardant le souvenir des Employés, la puissance de certains caractères, celui de Théodose et celui de Brigitte Thuillier, la nullité de Thuillier et de Colleville, la paire des Prud’hommes respectueux, Phéllion et Minard, en font un des meilleurs ensembles satiriques de Balzac. Ce génie satirique de Balzac, si sensible dans les œuvres qu’il écrit à partir de 1843, peut prendre plusieurs formes. Il est plus bouffon, plus appuyé dans la comédie qu’il intitule à la même époque A combien l’amour revient aux vieillards, qui est la seconde partie de Splendeurs et misères des courtisanes. Il est plus fin, plus difficile, dans la description de la ménagerie bourgeoise et dans la comédie plus complexe que joue Théodose de La Peyrade pour plaire à tous ceux dont il veut faire ses complices et ses dupes. Mais c’est le même génie et la même inspiration. Seulement, dans la société nouvelle que Balzac veut décrire, celle de la monarchie bourgeoise , il y a des calculs et surtout des moyens de parvenir qui sont plus difficiles à transcrire en situations pathétiques. Le moyen de parvenir étant fondé désormais sur le système électoral, machinerie pesante, n’offre pas les mêmes situations piquantes que l’intrigue : une élection ennuie. Ce sera l’écueil du Député d’Arcis, comme c’est une des servitudes de ce début des Petits Bourgeois. Aussi Balzac cherche-t-il à s’en échapper le plus tôt possible. Le drame du chantage qui se joue entre Théodose de La Peyrade et les associés de son début qui le tiennent à la gorge, Dutocq et Cérizet, est beaucoup plus vivant, beaucoup plus riche en péripéties que les manœuvres savantes et profondes par lesquelles le « grand artiste » de l’hypocrisie établit son pouvoir. C’est à ce moment-là que Les Petits Bourgeois devient un drame qui s’apparente, pas ses invraisemblances tout autant que par son mouvement, à Splendeurs et misères des courtisanes que Balzac écrit à la même époque. Cette inégalité de niveau et de pathétique est peut-être une des causes de son abandon. Une société fondée sur la médiocrité ne peut être décrite qu’en montrant le mécanisme universel de l’hypocrisie. C’est plus difficile et c’est moins drôle que de décrire une société fondée sur les itinéraires courts et sur le cynisme. Henri de Marsay est président du Conseil en 1833, Rastignac est ministre : mais Balzac s’est bien gardé de nous expliquer comment ils ont pu obtenir l’investiture de la Chambre. Source analyse : Préface recueillie d’après le texte intégral des œuvres de la Comédie Humaine (Tome XVII) publié par France Loisirs 1985 sous la caution de la Société des Amis d’Honoré de Balzac.
L’histoire Marie-Jeanne Brigitte Thuillier, vieille fille et femme d’affaires avisée, a créé un florissant commerce de sacs pour la Banque, qu’elle a ensuite revendu et qui lui assure un confortable revenu. Elle a été sacrifiée pour son frère, comme Mademoiselle Armande d’Esgrignon dans Le Cabinet des Antiques, mais, comme elle, la sacrifiée ne lui garde aucune rancune. Au contraire, elle a même pris sur son frère un ascendant bienveillant, malgré la médiocrité du personnage qui, bien qu’homme séduisant, n’arrive à rien dans ses études et se retrouve simple employé de bureau. Brigitte Thuillier protège la fille illégitime de son frère : Céleste Colleville, dont la mère naturelle, Flavie Colleville, est dévorée d’ambition et entourée d’amants. Balzac replonge dans le monde des employés de bureau déjà largement traité dans Les Employés ou la Femme supérieure, la femme supérieure étant ici Flavie Colleville mère, qui intrigue auprès des puissants personnages qu’elle séduit pour faire avancer la carrière de son mari. En effet, Colleville, simple employé, tout comme Thuillier, espère une promotion sociale pour lui-même et ses enfants. Les intrigues vont bon train, surtout lorsque l’avocat Théodose de La Peyrade (neveu du redoutable Peyrade) s’en mêle. Il s’agit d’obtenir la main et la dot de Céleste (Colleville) Thuillier déjà convoitée par Minard (un autre employé). Théodose de La Peyrade cherche à appâter Mademoiselle Marie-Jeanne Brigitte Thuillier par une opération immobilière dont le bénéfice irait à Céleste Colleville. Mais le roman restera inachevé, Balzac «changeant son fusil d’épaule » pour peindre en Modeste Mignon une fresque (suggérée par Mme Hanska) plus amusante et surtout plus facile. (voir commentaires de l’historien dans la préface ci-dessus).
Source histoire: Wikipédia
Les personnages Marie Jeanne Brigitte Thuillier : née en 1787, elle est la fille de Thuillier, concierge au ministère des Finances, mort en 1814. Louis-Jérôme Thuillier : frère cadet de Marie-Jeanne-Brigitte Thuillier et père naturel de Céleste Colleville qui est la fille de Flavie. Armande d’Esgrignon : Marie-Armande-Claire d’Esgrignon, fille de Victurnien d’Esgrignon et de sa mère (une Duval) décédée en 1830. Céleste Colleville : Fille illégitime de Louis-Jérôme Thuillier, né en 1791, employé au ministère des Finances. Flavie Colleville : de son nom de jeune fille Flavie Minoret, née en 1798, fille d’une danseuse et dont le père est probablement Du Bousquier, elle est l’épouse du fonctionnaire Colleville, personnage d’Honoré de Balzac dans Les Employés. Théodose de la Peyrade : Famille du Comtat Venaissin. Théodose est le neveu du célèbre Peyrade né en 1755 et mort en 1830 (voir Une Ténébreuse Affaire) Auguste-Jean-François Minard : Employé puis négociant (Employés et Petits-Bourgeois).
Source : Félicien Marceau « Balzac et son monde », Gallimard.
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